La Guinée suspend sa participation de l’OMVS : une décision incompréhensible

Article : La Guinée suspend sa participation de l’OMVS : une décision incompréhensible
Crédit: Facely Konaté
19 juillet 2023

La Guinée suspend sa participation de l’OMVS : une décision incompréhensible

La Guinée a décidé mardi 18 juillet 2023 de suspendre sa participation à l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal (OMVS). Dans un communiqué de la présidence signé par le secrétaire général, le Général de brigade, Amara Camara, note entre autres « le retard considérable dans le financement du barrage hydroélectrique de Koukoutamba dans la préfecture de Tougué et la sous-représentativité du pays dans les instances de décision. » Le communiqué rappelle par ailleurs que la Guinée « tient à être respectée par les organisations auxquelles elle appartient. »

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Une décision radicale

Tout d’abord, il faut préciser que l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal créée en 1972 est un cadre de coopération qui regroupe les États riverains du fleuve Sénégal : Mali, Mauritanie, Sénégal et la Guinée (depuis 2006).

Le mardi 18 juillet 2023 s’est tenu un sommet virtuel de la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement sous la présidence du colonel Assimi Goita du Mali. Le colonel Doumbouya de la Guinée, qui a également pris part à la rencontre, avait toute l’occasion de discuter directement avec ses paires et faire part des griefs. Mieux, il y a des moyens de recours qu’on pouvait explorer avant d’aller à une telle mesure. L’article 24 de la convention de création de l’organisation est très précis à cet effet : les différends sont résolus par la conciliation et la médiation. A défaut d’accord, les Etats membres devront saisir la Commission de conciliation et d’arbitrage de l’Union Africaine. En dernier recours, les Etats membres saisissent la Cour internationale de justice de la Haye. Est-ce que la Guinée a franchi toutes ces étapes ? Je ne crois pas.

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Des arguments qui ne tiennent pas totalement

Le projet hydroélectrique de Koukoutamba concerne l’ensemble des membres de l’organisation. D’ailleurs, le communiqué final de la rencontre du mardi 18 juillet 2023 précise que « la Conférence a donné des orientations et instructions engageant l’ensemble du système OMVS à maintenir et renforcer la dynamique visant la réalisation des objectifs de l’Organisation, notamment la poursuite de la réalisation du programme d’infrastructure commun. » Le Mali et le Sénégal auraient dû aussi se retirer en disant que le barrage hydroélectrique de Gourbassi (situé entre les deux pays) lancé depuis longtemps connaît un grand retard dans le financement. Mais dans toute chose, le bon sens doit dominer.

Parlant du projet hydroélectrique de Koukoutamba, il est important de rappeler que le 26 février 2019, un contrat de 800 millions de dollars pour l’aménagement dudit barrage a été signé à Conakry entre l’OMVS et le partenaire chinois Sinohydro. La durée des travaux était prévue pour quatre ans mais ils devaient démarrer après la mise à disposition du financement par Exim Bank. Ce qui dépendait aussi de certains réglages administratifs entre le bailleur et les quatre États prêteurs (les membres de l’OMVS). Au-delà de la signature du contrat commercial, d’autres pas ont été franchis ces dernières années notamment la réalisation des études d’impact environnemental et social ainsi que le plan d’action et réinstallation (PAR). La mobilisation du financement était aussi en bonne voie. En mai 2021, les États membres ont déposé leurs requêtes de financement auprès du partenaire chinois pour 85% du montant contractuel.

Où est-ce que ça coince ?

Est-ce que les États y compris la Guinée ont respecté leur engagement vis-à-vis du bailleur chinois ? C’est la question. On sait également que ce n’est pas facile actuellement de mobiliser des fonds. Pour le retour à l’ordre constitutionnel, le gouvernement guinéen dit que c’est impossible sans les moyens financiers. C’est la même chose pour la réalisation d’un barrage hydroélectrique de la taille de Koukoutamba.

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On parle également de sous-représentativité de la Guinée dans l’organisation. Si nous n’avons pas une diplomatie forte, ce n’est pas la faute des autres. Qu’est-ce qu’on fait pour la promotion de nos cadres dans les institutions internationales ? Les rares qui émergent se battent eux-mêmes. Mieux, l’OMVS n’est pas la seule institution où les guinéens sont absents. Si c’est la raison, alors commençons par suspendre aussi notre participation à la CEDEAO, l’UA, l’ONU et toutes les institutions affiliées, la Francophonie, la Banque Mondiale, le FMI… 

Les raisons sont sûrement ailleurs, mais ne sont pas celles avancées. Et l’autre question, c’est qu’elles seront les implications d’une telle décision si toutes les parties se radicalisaient ? De toutes les façons, le retrait de la Guinée en 1971 (à cause de l’agression portugaise dit-on) de l’ancêtre de l’OMVS, l’Organisation des États riverains du fleuve Sénégal (OÉRS), créée pourtant à Labé en 1968, n’a pas empêché les trois autres pays à créer l’OMVS actuelle en 1972. Nous avons décidé de revenir 34 ans après, en 2006, et ça trouvait que certains projets étaient en avance. Aujourd’hui, le Mali à deux barrages et le Sénégal en a un. Nous nous continuons de faire le “bébé hollandais”. Réfléchissons et optons pour la diplomatie dans la résolution des différends. 

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