Subvention à la presse privée en Guinée : on peut faire autrement

Article : Subvention à la presse privée en Guinée : on peut faire autrement
Crédit: Facely Konaté
15 juin 2022

Subvention à la presse privée en Guinée : on peut faire autrement

En Guinée comme dans beaucoup d’autres pays africains, l’Etat accorde chaque année une subvention à la presse privée pour lui permettre, dit-on, de supporter certaines charges liées au fonctionnement. Pour parler de la Guinée, au compte de l’exercice 2022, ce sont 3 329 484 000 GNF soit 355 396 euro qui ont été mis à la disposition des médias privés (radios, télévisions, presses en ligne, journaux) et à la maison de la presse « pour la couverture de leurs dépenses de fonctionnement ».

Mais cette subvention suscite assez de débats au sein de la corporation et pas seulement. De l’indépendance des médias en passant par la gestion de cette subvention par les patrons de presse, les conditions de vie et de travail des journalistes dans les rédactions… le débat se pose partout.

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La subvention en question

Pour des observateurs et journalistes, une dépendance économique et financière vis-à-vis des pouvoirs publics peut compromettre ou compromet les principes d’indépendance et d’objectivité auxquels les journalistes et les médias ont souscrit. Car, comme on le dit souvent, « la main qui donne est celle qui dirige ». L’on se demande également qu’est-ce qui justifie l’aide de l’Etat à la presse privée et pour quelles raisons l’entreprise de presse ne serait-elle pas soumise aux lois du marché au même titre que les autres entreprises ? Pourquoi devrait-elle plutôt bénéficier d’un « régime de faveur » de la part des pouvoirs publics ? Autant de questions qui restent à répondre.

De l’autre côté, il y a ceux qui pensent que la subvention est une nécessité au regard de la situation actuelle des médias avec la baisse des revenus qui s’est aggravée avec la pandémie de coronavirus et les nombreuses taxes auxquelles les entreprises de presse sont soumises. Mieux, l’on pense que compte tenu du rôle de service public que jouent ces médias, l’Etat est dans l’obligation de les accompagner financièrement.

Certains sont même catégoriques. Pour eux, la subvention c’est du gâchis puisqu’elle ne change rien aux conditions de vie et de travail des journalistes qui restent précaires. L’on estime que ce sont les patrons qui en tirent plutôt profit.

En effet, un rapport publié récemment par une association de journalistes met à nu les conditions dans lesquelles les journalistes vivent en Guinée.

Conditions de vie et de travail difficiles dans des rédactions

Selon ce sondage réalisé entre le 31 mars et le 22 avril 2022 par l’association Presse Solidaire, 60,58% de journalistes ou du moins des 220 répondants dans les sept régions administratives du pays n’ont pas de contrat dûment signé avec leurs employeurs. En plus, 21,11% n’ont pas de salaire. D’autres ont un salaire inférieur au salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) qui vient de passer de 440 000 GNF à 550 000 GNF (soit 58 euro). Selon le document, seulement 5,56% de journalistes touchent plus de 3 000 000 GNF (320 euro) par mois. Pire, 52,02% de journalistes interrogés ont indiqué n’avoir pas de moyens de déplacement et ne reçoivent pas de frais de transport de leurs rédactions.

C’est donc dans ces conditions extrêmement difficile que des journalistes travaillent en Guinée. Beaucoup parmi eux comptent parfois sur ces subventions pour améliorer ne serait-ce que les conditions de travail. Mais face à des patrons de presse « gourmands », ils ne peuvent pas espérer.

Au lieu que l’argent ne serve donc à couvrir les dépenses de fonctionnement des médias, à acheter des équipements ou à améliorer les conditions de vie des journalistes, il va dans les poches des patrons.

D’ailleurs, le projet de convention collectives des journalistes piloté par le Syndicat des Professionnels de la Presse de Guinée (SPPG) est aujourd’hui « piétiné » par ces patrons. Ils savent qu’avec la convention, ils auront des obligations et des contraintes vis-à-vis de leurs employés. 

C’est vrai que le métier de journalisme se précarise partout dans le monde, mais en Guinée, on a dépassé le stade de précarité. C’est l’exploitation de l’homme (des journalistes) par l’homme (certains patrons de médias). Et pour les contraindre à accélérer la finalisation de la convention, le syndicat de la presse avait à l’occasion de la célébration de la Journée internationale de la liberté de la presse le 3 mai, demandé au gouvernement de bloquer la subvention jusqu’à la signature du document. Malheureusement, ça ne sera pas le cas et dommage encore pour les employés. 

On peut faire autrement

 Vous vous êtes peut-être posé la question de savoir quelle est ma position par rapport à la subvention et quelle solution apporter ? Bien… Je ne dirai pas que la subvention est inutile mais la façon de faire aujourd’hui est un gaspillage. On distribue l’argent du contribuable sans traçabilité et sans se soucier de l’impact.

Maintenant que faut-il faire ? Je pense qu’en lieu et place d’une subvention qui va dans les poches des patrons de presse, il faut plutôt mettre en place un fonds de soutien à la presse privée. Peu importe l’appellation qu’on donnera à la structure. Elle pourrait être dénommée Fonds de Soutien et de Développement de la Presse (FSDP) comme en Côte d’Ivoire, Fonds Stratégique pour le Développement de la Presse (FSDP) comme en France, Fonds d’Appui à la Presse Privée (FAPP) comme au Burkina Faso ou même Fonds de Soutien et de Développement de la Presse Guinéenne (FSDPG).

Le plus important ce sont les attributions qu’on donnera à cette agence. Il s’agira en effet, d’une structure de financement et d’appui technique à la presse privée. Autrement dit, un établissement public doté de la personnalité juridique, d’une autonomie de gestion et jouissant des prérogatives de droit public placé sous la tutelle technique du ministère de l’Information et de la Communication et sous la tutelle financière du ministère de l’Economie, des Finances et du Plan.

Ce fonds dont le plafond sera déterminé par le gouvernement et les associations de presse soutiendra au moyen d’aides directes de l’État, une grande variété de projets d’entreprises de presse : les projets représentant une innovation, augmentant leur productivité ou améliorant et diversifiant la forme rédactionnelle, ainsi que les projets assurant le rayonnement de la presse guinéenne en dehors du territoire national.

Et de façon spécifique :

  • accorder une bourse aux entreprises de presse émergentes 
  • aider les journalistes à poursuivre leurs formations 
  • aider aux programmes d’incubation presse et médias 
  • aider aux programmes de recherche et développement 
  • aider à la transition numérique 
  • financement d’autres programmes de développement…

Les aides accordées au titre du Fonds prennent la forme de subventions et d’avances remboursables. L’entreprise de presse peut demander à bénéficier d’une subvention, d’une avance remboursable ou d’une aide composée d’une subvention et d’une avance remboursable.

Et à côté, on peut accorder des aides indirectes sur le plan fiscal. L’avantage est que l’Etat sait comment l’argent du contribuable mis à la disposition des médias est utilisé et cela profite à tout le monde (journalistes, patrons de presse…). Mieux, de cette manière l’Etat permettra de garantir l’accessibilité de tous à une information diverse et plurielle de qualité et de créer les conditions favorables à l’exécution des missions de service public des entreprises de presse privées afin d’assurer leur vitalité.

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La refondation annoncée par le Comité National de Rassemblement pour le Développement (CNRD) doit également toucher le secteur des médias qui a besoin d’assainissement total. Les journalistes guinéens à l’instar de leurs confrères d’autres pays doivent pouvoir désormais vivre de leur métier : avoir un bon salaire accompagné de primes et indemnités (prime d’ancienneté, indemnité de haut risque, prime de panier, prime de logement, prime d’habillement, indemnité de transport, prime de responsabilité…). Comme le dit l’artiste ivoirienne Roseline Layo, « donnez-nous un peu… On veut goûter aussi… ».

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Commentaires

Sanoh
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Belle analyse